Thalesse La Tenace

À la demande de Job, moi aussi je vous laisse ma bouteille à la mer et elle contient un message d’espoir.

Je suis bien plus âgée que ces petits jeunes conçus pendant la première crise covidienne, de la même génération que Nimby, mais je n’en ai pas les rigidités ! Peut-être parce que toute ma vie a été rythmée par les énergies. Hydrolienne, éolienne, solaire, méthanisation puis bien d’autres. Des noms à haut potentiel que j’ai découverts bien après mon enfance morbihannaise, mais qui égrènent aujourd’hui mon quotidien.

Ces énergies sont celles de mon pays, adaptées à nos ressources. Elles sont aussi notre force de cohésion et, accessoirement, une partie de ma source de persévérance ! Mais moi, Thalesse la Tenace, je tiens aussi ce tempérament de mes origines et de mon enfance.

Petite, je ne partais pas en vacances et, pour me consoler, je me disais que je vivais toute l’année dans un pays de vacances. Mes parents me donnaient à garder dans la maison d’en face, chez ma grand-mère. Derrière ses fenêtres, le paysage était différent. L’angle avait changé. Le point de vue n’était pas le même. Il donnait sur l’océan sans fin et sans repos, d’une beauté hypnotique. Ma grand-mère était historienne et naturaliste. Elle me contait les histoires de mes ancêtres, leurs accords intimes avec l’environnement de la Presqu'Île et les difficultés qu’ils avaient affrontées. Elle connaissait tous les noms des baies, des caps, des pointes, des rochers, des plages, des îlots, de Damgan à Saint-Philibert. Elle me nommait les plantes et les animaux que nous croisions lors de nos longues promenades. Je suis de cet endroit singulier. Mes racines plongent profondément en lui, même s’il a radicalement muté depuis mon enfance sous les coups de boutoir du changement climatique. Je ne l’ai jamais quitté, de peur d’en perdre ma source de vie, mais j’ai puisé en lui ma raison d’être : les énergies renouvelables !

J’étais fort jeune quand Nimby le Préhistorique m’a proposée de développer le volet énergétique de sa future écocité, mais j’avais déjà une solide expérience acquise avec mes réalisations pour les résidences secondaires des riches du bord de mer. J’ai conçu le complexe système en réseau composé de panneaux solaires, petites turbines éoliennes et méthanisateurs déployé sur chaque habitation et bâtiment collectif mais aussi en site propre. Toute à ma technique, à ma foi en les énergies renouvelables, je ne me suis pas appesantie sur le concept “hors-sol” de cette écocité pour privilégiés. Le rêve illuministe et modulaire de Nimby avait un succès fou : la seule difficulté était de bien choisir les impétrants, triés sur leurs compétences, leurs moyens financiers, leurs connaissances et leur vision du monde d’alors, heureux de laisser une Côte d’Azur étouffante pour un phalanstère high tech. Une uniformisation, une absence de diversité devenant ennuyeuse au fil des années mais aussi une absence totale de réflexion sur l’avenir du Golfe et du monde en général. Une mentalité de château-fort, d’ermitage, de plus en plus déconnectée de son entourage.

La terrible sécheresse de 2043 a agi comme un révélateur. L’eau manquait partout, les champs étaient grillés et nombre de familles de la Presqu'île étaient en mode survie. Mais l’Ecocité étalait son opulence, oasis insolente, jardin d’Eden, dans un désert jauni. Elle avait les forages. Elle avait l'énergie gratuite pour puiser l’eau qu’elle gaspillait dans les arrosages de complaisance. Elle faisait tourner à plein régimes ses climatiseurs qui grondaient à l’unisson jours et nuits pour tailler dans l’épaisse chaleur caniculaire. Elle se moquait de la désolation alentour. J’étais stupéfaite, j’étais atterrée face à cet égoïsme. J’ai usé de ma proximité avec Nimby, de nos années d’expériences communes pour proposer de réduire les consommations, de partager les ressources, d’établir des flux avec l’extérieur, pas seulement avec les quelques privilégiés de l’élite des communes alentours. Mais le Chairman, appuyé par le comité de surveillance et le conseil de gestion, a refusé en bloc. Sans empathie, sans remords, sans concessions. A l’unanimité des habitants. C’étaient les limites de cette autarcie. Elle était dévastatrice et ruineuse. Elle n’était pas une alternative viable. La seule voie était le partage dans la sobriété. La coopération plutôt que l’individualisme.

J’ai démissionné. J’ai abandonné tous mes privilèges d’habitante de l’Ecocité. Je suis revenue vers l’extérieur. C’est grâce à mon frère que je rencontrais Diogène le Sobre Heureux. Ils avaient collaboré pour une installation de sculpture en plein air et m’avaient invitée à l’inauguration. Ce jour-là, il m’a parlé du Club des Inven-tisseurs.  Il m’a encouragé à développer un projet pour l’une de leurs bourses de résilience.

Face à la montée des eaux, les derniers habitants d’une commune côtière du Golfe souhaitaient planifier leur retrait vers l’arrière-pays, dans un nouveau quartier nommé « le Nid ». Pour les aider dans la gestion de leur énergie, nous leur avons proposé une approche innovante de l’autonomie énergétique. Grâce à la bourse du Club des Inven-tisseurs, j’ai pu transformer mon échec de l’Ecocité en création positive au “Nid”. En proposant une consommation consciente et une approche collective de l’énergie comme forces transformatrices de notre territoire.

Les “Nidicoles”, habitants du “Nid”, ont conçu et géré les parcs de production d’énergies renouvelables. Les décisions collectives quant aux technologies à mettre en place, avec un quota d’installations innovantes pour tester des options ont été décidées à l’unanimité. Des innovations inimaginables, des trucs fous, comme des capteurs d’énergie solaire dans la peinture colorées des maisons, la récupération de l’énergie résultant de la friction des pneus de nos vélos et de nos chaussures contre le pavé… Tout ce que pouvait tester notre équipe de science citoyenne ! C’est lors d’une récente assemblée que le pétroleau de Diogène le Sobre Heureux a connu un grand succès !

Mais cette recherche d’énergies renouvelables du territoire s’est opérée dans le cadre de valeurs et de visions de la consommation énergétique partagées par tous : solidarité, sobriété, efficacité. Nous avons conçu une audacieuse rénovation thermique suivi d’une mise en réseau des maisons et bâtiments du “Nid”, pour un équilibre en continu des consommations individuelles et collectives. Personne ne manque d’énergie pour ses activités essentielles de travail et de confort. Beaucoup travaillent et vivent grâce à cette transition énergético-écologique.

Le voilà mon message d’espoir, inscrit sur ce bout de papier dans ma bouteille à la mer que je transmets à Job pour vous, les habitants de 2020. J’ai la chance de vous parler d’un monde que vous ne connaissez pas encore. Il est vivable parce qu'il doit ses conditions de vie aux générations qui nous ont précédées et sont parvenues à combiner l’entraide et l’écologie pour développer collectivement un monde meilleur.

Sachez-le : La coopération, comme la beauté de l'Art, sauvera le monde.

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