Job La Cataravannière : Apparition

Mon irruption à votre époque peut vous sembler un hasard, une incongruité, une impossibilité, une étrangeté. Je ne l’ai pas choisie mais je sais que cela a un sens pour les Inven-tisseurs. Parce que nos récits d’histoire moderne font démarrer notre monde à votre temps. A tel point que le terme d’Anthropocène a laissé la place à l'Époque Post-Covidienne. J’espère seulement que je pourrai retourner en 2050, vos années 2020, même si elles sont précurseuses, sont plutôt lourdes. Le début des « 30 fâcheuses », celles des 3Crises, aucune envie de vivre ça. Toute cette panique après le premier coronavirus, la machine folle qui s’était arrêtée, les patinages au redémarrage avant de se vautrer ensuite dans le fossé à chaque nouvelle crise sanitaire, l’angoisse du changement climatique, la peur de l’avenir, d’une façon de vivre différente, la peur de la guerre civile, du struggle for life. Bien contente d’être née juste après, je vous laisse les interrogations existentielles, toujours ça en moins pour éviter les psys. Aucune envie non plus de rencontrer la daronne à mon âge, il paraît qu’elle était une furieuse de la décroissance, au point de m’appeler Job, “pauvre comme Job”, la frugalité en une seule syllabe, jusqu’à l’orthographe du prénom, même pas de “e” pour affirmer mon genre. Je crois que si j’avais été un garçon, je me serais appelée à coup sûr “Pierre” ou “Rabhi”, finalement, “Job”, même sans “e” me plaît mieux. Une humaine d’un nouveau genre, qui allait vivre la sobriété heureuse qu’elles et ils allaient nous mitonner.

A l’adolescence, j’ai passé ma crise à leur reprocher de ne pas avoir eu de portable, tablette, voiture puante, hamburger, viande folle, fringues à renouveler, plastique à jeter et j’en oublie. Et puis… je leur ai donné raison : nous ne pouvions pas continuer comme ça. Nous avons évité le crash contre le mur, mais de justesse, nous avons crevé avant, les 4 pneus éclatés aux coronavirus successifs, imparable, on n’avance pas longtemps sur les jantes.

Bref, je vous passe les détails, les tâtonnements, les révisions déchirantes, les abandons en nombre mais nos consommateurs sont devenus des consom'acteurs, puis des acteurs tout courts. Et je fais partie de la nouvelle génération. Mes parents m’ont parlé de leur génération, les milleniums, la génération « Y » aux écouteurs toujours pluggés dans les oreilles. Nous sommes la génération Z comme « Zéro ». Zéro émission de gaz à effet de serre, zéro déchet, zéro pesticide, zéro engrais chimique, zéro pétrole, zéro plastique, zéro gaspillage, zéro spéculation, zéro destruction des écosystèmes. Pas encore zéro bêtise, ne soyons pas angéliques, l’espèce humaine n’a pas muté, toujours le même pourcentage, nous les acceptons - ou les supportons - mais ils n’ont plus le pouvoir.

J’en viens à ma cataravane et pourquoi j’en suis à vous raconter toute cette histoire.

Je suis vraiment fière de ma cataravane et j’espère que vous l’appréciez-vous aussi ! Vous n’en avez sûrement jamais vu des comme ceci. Je pense que vous imaginez qu’elle est le résultat d’une union contre-nature entre une caravane et un catamaran. Vous n’avez pas tort pour l’union. En revanche, vous avez tout faux pour le contre-nature. Ce serait plutôt l’inverse. Ma cataravane, c’est une union naturelle entre la terre et la mer, entre l’argoat et l’armor, entre la mère-terre et la mère-mer. Elle roule. Elle flotte. Elle s’adapte. Elle n’impose rien, aucune lourde infrastructure. Elle suit le changement. Elle nomadise autour du Golfe. Elle s’agrège aux autres embarcations en villages éphémères. Sans laisser de traces ni de déchets. Un jour-là, demain ici. Ma cataravane, c’est une caravane et un catamaran augmentés. Le meilleur des deux mondes que je parcoure pour en soustraire les plastiques et en faire des objets utiles ou des plastikarts à porter ou à caresser. Elle est tellement augmentée qu’elle se permet des facéties que je ne comprends pas toujours, je n’ai pas encore lu le mode d’emploi que m’a laissé Diogène le Sobre Heureux. Je ne suis pas sa pilote, ma cataravane obéit à un programme que je ne contrôle pas. Elle passe d’un temps à l’autre. De 2050 aux années 2020. Vous êtes de sacrés chanceux à regarder à travers les hublots de ma demeure. Vous avez votre avenir devant vous.

Je suis venue vous parler de mon époque, avec mes mots mais aussi ceux de mes amies et amis.

Laissez-moi vous raconter, moi Job la Cataravannière, porte-parole de votre futur monde, celui qui a été sauvé par la Beauté de l’Art.