Gaïa La Chercheuse De Rêves

Quand Job est venue me voir pour témoigner, j’ai tout de suite dit “oui”. Je l’ai connue avant même sa naissance, dans le ventre de sa mère. Ses parents voulaient des conseils. J’étais connue pour être la hippie qui avait choisi d’accoucher à la maison, d’allaiter ses enfants jusqu’à cinq ans, puis peu à peu les déscolariser. Moins de contrôle, plus d’autonomie, croire en la capacité naturelle de l'humain. En fait, suis-je une hippie ? Je ne pense pas, ou alors une post-hippie, mais qu’importe, nous voulions juste changer le système, et nous l’avons fait à force de lobbying en période électorale, de réflexion participative, de beaux projets, de manifestations et beaucoup de sensibilisation. Je l’ai rêvée longtemps cette vie. Sans voiture, d’abord, tout devait partir de là. J’en crevais de voir tous ces gens prendre leur voiture pour un oui, pour un non. A Paris, comme ici dans le Golfe. Toujours de bonnes excuses, mais dans le fond, jamais valables.

2020, temps suspendu, point charnière. J’ai longtemps été une résidente secondaire, même pas née ici, mes voisines m’appellent encore la parisienne. Comme les autres, j’ai fini par m’installer pour de bon après le premier coronavirus, avec mari et enfants. Le point tournant où le télétravail est devenu la norme des cadres, le présentiel devenant limité à son minimum.

Cette réorganisation du travail a profondément changé les territoires ! Des territoires dépeuplés se sont vu réinvestis, Paris s’est vidé, et notre Golfe, lui, a vu ses résidents secondaires s’installer. Quel bazar au début ! Des tags, des manifestations, de l’agressivité à peine voilée de ces voisins « locaux » qui ne voulaient pas de tous ces étrangers venus polluer leur paysage, apporter leurs virus, utiliser leurs routes et leurs services. Passe encore pour la saison touristique, mais à l’année, pas question !

Avant 2020, je bossais en RH dans une grosse boîte. Assez rapidement, je me suis spécialisée dans la qualité de vie au travail et l’accompagnement au changement. Cela fait bien pour le reporting RSE, mais franchement, ce n’était pas leur priorité. Lors de la fameuse première crise, celle du COVID19, mon entreprise m’a imposé le télétravail puis le chômage partiel. Finalement, je n’attendais que cela. Comme plein de gens, nous nous sommes adaptés vite, très vite, au télétravail. Les 1% ont bien tenté de nous dire qu’il fallait continuer à consommer, mais, dans le fond, tout le monde savait que c’était fini. Le télétravail, le télétravail partiel, puis finalement plus que l’essentiel quand il a fallu partager le peu de travail qui restait. Je suis devenue accompagnatrice du changement, chercheuse de rêves, rêves d’un peu de tout mais toujours pour l’autonomie. C'est ce que voulaient la plupart des personnes et communautés, un retour vers des liens rêvés mais authentiques.

Il a fallu s’adapter. Adapter la mobilité d’abord, circuler devenait impossible. Enfin, pas autant qu’à Paris, mais c’était l’occasion, les anciens et nouveaux habitants se sentant submergés. La voiture n’a jamais été interdite, juste limitée. Le Parc-Agglo du Golfe du Morbihan a fait un gros travail sur les flux pour repenser la notion d’individualité. Cela n’a pas été très difficile au final, un peu de volonté politique et d’investissement. La réorganisation de la mobilité a montré que nous vivions mieux avec moins de voitures, en les utilisant seulement en cas de réel besoin. Le slogan « libérer les piétons enfermés dans les voitures » a cessé d’être vain et est devenu un vrai mot d’ordre libérateur. Maintenant, nous avons un réseau de vélo-routes, en parties couvertes, avec des stations-vélos, qui relie les communes du pourtour du Golfe. Et puis, il y a les navettes spéciales pour les grands déplacements ou les gros chargements.

Avec la mobilité est venue l’évolution de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme. Le modèle du tout maison avec son jardin, son trampoline, sa Volvo avec la boule remorque pour tirer le bateau qui sort trois fois l’an, ce n'était plus possible, plus compatible avec la vie post-Corona. Toute l’organisation du territoire a été repensée. La bande littorale de cent mètres à compter de la limite haute du rivage est passée à mille mètres, les architectes et les mairies ont peu à peu transformé les centres bourgs en villages verticaux pour recentrer les habitations, et grand enjeu, nous avons obtenu la dé-privatisation de la bande littorale avec valorisation du sentier côtier. Difficilement, lentement, mais sûrement. Il a fallu un peu de temps pour que les habitants et habitantes l’acceptent, notamment celles qui vivaient au bord de l’eau. En trente ans, il est devenu évident que le littoral est notre bien commun, un bien extrêmement vulnérable mais aussi incroyablement riche en rêves et poésie. Tous les habitants y trouvent beaucoup d'inspiration. Ce trait de côte, il bouge, il bouge. Quand je pense qu’il y a trente ans, chaque mouvement était scruté, source d'angoisse et d'aménagement. Plus personne ne peut ni ne veut construire au bord de l’eau. Si tu a envie de voir la mer, tu prends ton vélo et tu vas la retrouver... Comme tout le monde.

Réfléchir à un usage partagé et saisonnier des espaces et habitats a été encore plus difficile à faire accepter. Partager sa maison, favoriser les primo-accédants et les saisonniers, mon Dieu, quelle idée de zado-gauchistes ! Quand le fameux décret préfectoral sur l’obligation de mettre en partage, payant bien sûr, sa résidence secondaire est parue, nous avons frôlé la révolution dans le Golfe. Enfin, la révolution par les procédures, je n’ai pas vu une barricade... Mais ils ont perdu. Certaines ont préféré vendre, d’autres ont fait des habitats participatifs. Le nombre de maisons secondaires a diminué et les classes populaires et moyennes ont enfin pu re-accéder au Golfe. Ceux qui sont restés aiment leur lieu de vie, veulent s'y investir et le préserver. Ce rééquilibrage démographique a fait du bien au territoire, je commençais à n’en plus pouvoir d’être dans un ghetto, oserai-je dire une maison de retraite, pour riches.

Cette réorganisation du territoire a permis à l’agriculture de retrouver toute sa place. La concentration du bâti a favorisé la lutte contre la déprise agricole. Les agricultrices en partant à la retraite trouvaient facilement un repreneur. Et même plusieurs repreneurs. Des pluri-actifs, comme moi, menant plusieurs vies, parfois contradictoires, encore un peu RH, chercheuse de rêve et maraîchère. Nous avons tous dû apprendre, nous mettre à plusieurs sur des petites exploitations, accepter nos échecs, heureusement. Nous ne sommes pas autonomes, pas complètement, mais cela n’a jamais été le but. Nous nous contentons d’être heureux de connaître et d’échanger nos sources et ressources alimentaires et énergétiques. Et surtout, d’avoir diminué le temps de travail rémunéré.

Si je devais résumer ces trente dernières années, celles qui nous séparent de vous, après la peur, c’est surtout l’autonomie qui a prévalu, le fameux retour aux sources que nous voulions sans oser sauter le pas. L’autonomie, oui, mais pas celle de Nimby le Préhistorique. Ne venez pas me parler de celui-là, nos visions n’ont rien à voir. Alors oui, technologiquement, ils sont forts. Dans nos groupes d’autonomie pratique, au début nous y avons cru. Un peu. Nous nous sommes dit “Bon, ils veulent faire de l’écologie”. Je n’ai pas été longue à comprendre leur objectif, mais nous n’avons rien pu faire, ils avaient trop de soutien parmi les élus locaux. Ils ont le droit de vivre après tout, mais nous ne partageons pas leurs valeurs. Elles ne sont que de la communication pour se maintenir, des phrases et des idées creuses ou dépassées. Derrière leur clôture électrique, comme dans un zoo, nous allons les voir pour nous rappeler ce qu’était le monde d’avant. Ils s'imaginent que nous les envions alors qu’ils ne sont que des repoussoirs vivant dans leur réserve. Survivalistes ? Mon œil oui ! Juste des égoïstes avec leur arche de Noé échouée sur un ridicule Mont Ararat. Ils se trompent. Ils remettent en place tous les mécanismes et technologies, et soi-disant mesures de sauvegardes, qui nous ont déjà mené aux crises. Ils vont à nouveau dans le mur.

Parce que nous en sommes sûrs, parce que les évènements nous ont donné mille fois raison, parce-que nous sommes résilients et que la vie irrigue à nouveau le monde que nous avons choisi, nous survivrons car seule la beauté de l'Art sauvera le Monde.