Diogene Le Sobre Heureux

Quand Job m’a présenté son projet de raconter Le Golfe du Morbihan en 2050, j’ai tout de suite voulu participer. Le Golfe et ses nouvelles logiques économiques devaient être conté au monde et surtout aux habitants de celui-ci pour leur donner du courage.

Alors, avec Crésus, nous avons travaillé dur pour pouvoir faire voyager Job au-delà des limites géographiques et temporelles. Je suis très fier de la création de la Cataravanne. Tous ses composants viennent directement du Club de troc créé pendant les 3Crises.

En remplissant la Cataravane de notre pétroleau, les portes du temps s’ouvent, la découverte est toute récente mais valait le coup d’être essayée…

Je reprends du début. Conçu en période COVID comme les autres, je viens d’une grande famille de producteurs alimentaires de Montpellier, devenu le véritable grenier agrobiotech de France. Mais cultiver sous 40°C ou sous nos serres réfrigérées, ce n’était pas mon truc. Je me suis rapidement distancié de mes parents. A 14 ans, j’ai trouvé un petit boulot dans un garage mécano. Je bossais beaucoup sur les moteurs, les réparations de moto et bateaux. L’interdiction sur le pétrole était en train de passer et l’activité s’est ralentie rapidement. Quand le garage a fermé en 2035, j’étais déboussolé et fou de rage d’avoir perdu ma seule activité. Je retournais souvent au garage y passer des longs après-midis d’attente et de contemplation. Les pièces de moteur avaient quelque chose de fascinant pour moi. Un jour, j’ai commencé à les assembler. S’en sont suivies des heures et années de création pendant lesquelles, je soudais, fondais les pièces et leur donnais de nouvelles formes. Je me suis spécialisé dans la sculpture et la création de totem mécaniques. Je les vois comme des témoignages d’une croyance forte mais révolue. Un hommage aux intelligences humaines mais rappel des nuisances d’un autre temps. J’ai trouvé dans l’art un moyen d’exprimer ce qui parfois me révolte, et parfois me séduit dans nos sociétés.

A côté des sculptures totems que je soudais à partir des rebuts de moteurs, j’essayais de transformer l’essence et le gazole en quelque chose d’utile et non plus néfaste à l’environnement. Alors je les ai mélangés à de la terre, à de l’eau, mis dans des centrifugeuses, laissés fermenter, puis testés sur les plantes des serres réfrigérées. Elles ont adoré. Pétroleau : du pétrole et de l’eau pour faire du terreau. Une deuxième vie pour nos réserves d’essence voyait le jour, il fallait que je partage cette découverte et son potentiel… Je n’en soupçonnais même pas le millième.

J’étais timide quand j’étais enfant, mais, au fur et à mesure du développement de mes totems que je mettais devant la maison et de mes expériences avec le pétroleau, j’ai gagné une petite notoriété. Plusieurs écocités autonomes m’ont approché, des gars comme le chairman Nimby sont venus de tous les coins de France, mais je voulais autre chose. Je ne voulais pas vendre mes idées, je voulais les faire évoluer avec d’autres passionnés… A l’instar de mes sculptures, j’aimais l’idée que le pétroleau progresse grâce à des dynamiques collectives. A la suite de la visite de Nimby, je me suis renseigné sur Le Golfe et j’ai découvert le Club des Inven-tisseurs. Nous étions en 2040 et le Club venait de lancer son programme de Bourse de Résilience Sobre et là, ce fut le coup de foudre…

Le Club est le résultat d’adaptation et d’évolutions de pratiques portées par un groupe et une envie d’autre chose. Il s’est mis en place pendant les 3Crises. Les 3Crises, c’est la pire période des “Trente Fâcheuses”, dix ans, trois crises. Mais comme toute période sombre, elle a donné lieu à beaucoup de belles choses par la suite. Les crises forçaient les gens à rester chez eux, il a donc fallu inventer d’autres manières de faire circuler les biens et les idées.

En bord de mer, selon les décisions de confinement, les maisons de vacances restaient vides ou surpeuplées trop longtemps, avec une économie qui s’effondrait .. Dans plusieurs sites et villages du Golfe, comme le développement s’était fait sur l’économie saisonnière et touristique, il n’y avait pas d’infrastructures ni de dynamiques économiques adaptées. Donc, c’était la galère pour trouver un outil, un équipement, ou pour trouver des livres, de la poésie, des pièces de théâtre, des enregistrements musicaux essentiels pour survivre aux confinements, et je parle bien de survie mentale. A Montpellier, nous avions toute la nourriture que nous voulions mais le besoin de création, de musique et de culture faisait enrager les gens. Mes totems ont eu leur vrai moment de gloire à ce moment-là.

Une habitante de Vannes, une Clim’actienne à la recherche d’un métier à tisser, a alors proposé d’échanger une de ses collections de livres contre l’objet désiré. Le club de troc était lancé. Vieux comme le monde, pas une innovation géniale, juste un échange de produits devenus essentiels. Les Vannetaises et Vannetais ont accroché. La plupart étaient confinés et ne pouvaient guère se déplacer, aussi le troc, c’était le Rêve. Les crises ont duré de plus en plus longtemps, et le troc s’est installé et puis imposé dans tout le Golfe. Tous les échanges se passaient dans le garage de l’un, dans le jardin de l’autre en respectant les gestes barrières.

Comme ces lieux attiraient de plus en plus de monde, les garages et jardins n’ont plus suffi. Il a fallu trouver des lieux plus grands pour garder ses distances - ambiance et trauma des 3Crises obligent. Les fondateurs du club ont alors récupéré ces grands hangars vides, ceux que vous appeliez les “Grandes surfaces” qui avaient été abandonnées. Lieux de troc mais aussi lieux réunissant champs protégés, logements, gare multi-modale, le tout dans une structure de hangar : les changars.

Moi je loge sur un de ces sites. Le Golfe, et la ville de Vannes en étendard, est devenue une zone cosmopolite où l’on croise tous les âges, toutes les ethnies, tous les métiers, toutes les cultures que porte la Terre. Il n’y a pas de de ghettoïsation par l’âge ou par quartiers même si nous avons dans le coin des écocités autonomes comme celle du chairman Nimby.

Pour peupler ces changars d’idées, de personnes et de projets, les fondateurs du club ont pris le nom du Club des Inven-tisseurs et ont mis en place le programme de Bourse Résiliente Sobre avec lequel je suis arrivé ici. Mes totems et le pétroleau les ont tout de suite séduits, et depuis dix ans, j’évolue avec eux sur des projets au sein de cette merveilleuse dynamique. Grâce aux Inven-tisseurs et leur philosophie, le Golfe a changé de visage et il permet à des personnes comme Job, Crésus, et moi d’y trouver, et d’y jouer une belle place et de faire des découvertes techniques hors-du-commun, comme celle qui a permis le voyage de Job…

Tout n’est pas parfait et il reste encore beaucoup de défis, comme celui du retour des espèces marines et terrestres, mais je voulais vous dire qu’avec nos projets et idées plein la tête, nous n’avons pas arrêté de vivre après les crises, nous ne nous sommes pas laissés abattre par les impacts du changement climatique, nous avons pris le problème à bras le corps, ça a mis un peu de temps mais, maintenant que des pôles de Résilience comme le Golfe existent, nous sommes sur un autre chemin, celui de l’émerveillement...

Alors pour finir ce témoignage et parce que je leur dois beaucoup, je voudrais partager avec vous la devise du Club. En attendant de vous recroiser en 2050.  Souvenez-vous en. Pour aujourd’hui comme pour demain : “La beauté de l'Art sauvera le Monde !”